Canapé éventré sur le trottoir, gravats jetés dans un sous-bois ou matelas abandonné derrière une haie… le dépôt sauvage de déchets est devenu une habitude pour trop de Français. Une incivilité banalisée, mais qui coûte cher à la collectivité et encore plus, désormais, à ceux qui se font prendre. Strasbourg, submergée par l’ampleur du phénomène, décide de frapper fort : jusqu’à 15.000 euros d’amende ! Le point sur le sujet avec Jean Fixot de Chimirec.
L’ampleur d’un fléau urbain et périurbain
Entre 2019 et 2024, le volume des déchets sauvagement jetés dans l’agglomération strasbourgeoise a plus que doublé, passant de 2 700 à 5 700 tonnes, dont 70 % rien qu’à Strasbourg. Un raz-de-marée de déchets en tout genre que les services de la ville peinent à endiguer malgré une batterie de dispositifs, allant des pièges photo aux haut-parleurs dissuasifs, en passant par les brigades de la propreté ou encore les réseaux d’ambassadeurs de quartier.
Mais rien n’y fait. Un Français sur quatre admet avoir déjà commis un dépôt sauvage, selon une étude Ifop pour Gestes Propres. Le chiffre grimpe même à 36 % en Île-de-France, preuve que le geste n’est pas marginal. Pire, 46 % des sondés disent penser que leur déchet « pourrait servir à quelqu’un ». Et près de la moitié ignorent tout bonnement les services de collecte existants.
Ce qui change à Strasbourg
Face à cette explosion de l’incivisme, la maire écologiste Jeanne Barseghian a décidé de changer de braquet. Fini la simple amende forfaitaire de 135 €. Désormais, une amende administrative jusqu’à 15 000 € pourra être infligée sans passer par le tribunal. La ville reprendra ainsi la main, grâce à un arrêté municipal qui entre en vigueur d’ici l’été. Gain de temps, efficacité accrue, sanction dissuasive… Strasbourg veut passer à l’offensive. Salah Koussa, adjoint à la propreté urbaine, détaille le futur dispositif : les amendes seront graduées selon le poids, le volume et la dangerosité des déchets, en lien avec leur coût réel de traitement. Autrement dit, jeter un sac-poubelle ou abandonner un frigo n’aura plus du tout les mêmes conséquences.
Un arsenal juridique déjà bien fourni… mais peu appliqué
Ce virage répressif local s’inscrit dans un contexte national où les textes existent déjà, mais peinent à être mobilisés. Le Code de l’environnement prévoit une amende forfaitaire de 135 €, portée à 375 € si non réglée dans les 45 jours ; une amende judiciaire de 750 € prononcée par un juge ; et jusqu’à 1.500 € d’amende en cas de délit aggravé avec confiscation du véhicule utilisé. Pour les entreprises, les sanctions sont encore plus sévères : 75 000 € d’amende et deux ans de prison en cas de dépôt massif ou de déchets dangereux. Et même 150 000 € d’amende assortis d’une astreinte de 1 500 €/jour si la mise en demeure n’est pas suivie d’effet.
Depuis la loi climat de 2021, les cas les plus graves peuvent être qualifiés de délits d’écocide, exposant l’auteur à des peines lourdes et dissuasives. En théorie du moins.
Un problème de comportement autant que d’organisation
La réalité, c’est que le droit existe mais l’identification des auteurs reste difficile, voire impossible. Même les pièges photographiques peinent à faire la preuve de l’infraction, et les procédures judiciaires, quand elles ont lieu, s’avèrent lentes et peu suivies de sanctions exemplaires. Autre problème : l’accessibilité aux déchetteries. Trop éloignées, trop contraignantes, ou mal connues, elles dissuadent certains de faire l’effort de trier ou de transporter leurs encombrants. 44 % des Français ignorent les options de collecte existantes, et 25 % disent ne pas pouvoir se rendre en déchetterie facilement. Résultat : on jette là où c’est le plus simple, et tant pis pour l’environnement.