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Ingénieur du son avec casque, travaillant sur une console de mixage dans un studio d’enregistrement.

Sound designers, les architectes sonores de la mode contemporaine

Ils n’apparaissent ni sur les podiums ni sur les communiqués de presse. Et pourtant, sans eux, un défilé n’est qu’un alignement de silhouettes. Derrière chaque frisson sonore, chaque montée d’émotion, se cache le travail millimétré d’un sound designer. A Paris comme à New York, ces compositeurs de l’ombre donnent à la mode son souffle, son rythme et parfois, son âme. Découverte avec Nicolas Bianciotto !

Le sound design, entre musique et mise en scène sensorielle

Traduire l’essence d’une collection à travers le son, tel est le défi que relèvent ces créateurs de l’ombre. Senjan Jansen, figure incontournable du milieu, préfère parler d’une expérience physique plus que musicale. Pas de mélodies faciles, ni de morceaux à fredonner, l’objectif n’est pas d’imposer un tube, mais de construire une ambiance. « Les gens doivent se souvenir du show, pas de la musique », résume-t-il.

Leur mission ? Travailler dans l’urgence, sous pression, tout en livrant une bande-son pensée à la seconde près. A mi-chemin entre la composition musicale et l’architecture sonore, leur travail épouse les codes du direct. Rien n’est laissé au hasard, même si l’imprévu fait partie du jeu.

Une collaboration intime entre créateur et compositeur

Créer pour un défilé ne se résume pas à envoyer une playlist, il s’agit plutôt d’une symbiose, d’un dialogue entre deux sensibilités. Emmanuel Caurel évoque une relation presque intuitive avec Alexis Mabille : « une conversation amicale autour d’un dîner suffit parfois à poser les bases sonores d’une saison. » Même ton chez Roni, qui travaille avec Alice Vaillant sur une électro dense, influencée par la puissance féminine que dégage la collection. Pour Jansen, tout part de l’humain : « si le designer est excellent, alors tout s’aligne – maquillage, lumière, espace et son. » Le résultat est alors magique, car le son devient une extension naturelle de la vision du directeur artistique.

De la création musicale à la mise en scène émotionnelle

Chaque créateur impose ses codes. Chez Glenn Martens pour Y/Project, Jansen a carte blanche pour expérimenter. Pour Issey Miyake, il opte pour des textures ambient minimalistes. A l’opposé, Diesel demande un son brut, presque rave, à l’échelle d’un concert géant – 7 000 personnes en plein air, un écran de 27 mètres, une expérience sonore totale. Chez Roni, le processus démarre souvent par des mots-clés : « puissance », « vulnérabilité », « liberté ». A partir de là, elle sculpte un paysage sonore aligné avec la direction esthétique de la collection Vaillant Studio. Quant à Caurel, il fonctionne par itérations : plusieurs écoutes, une analyse précise des silhouettes, puis un montage affiné jusqu’au dernier jour.

Toujours en coulisses, toujours en tension

Le sound designer ne brille jamais en lumière. Il travaille dans l’urgence, dans l’incertitude. A chaque show, le risque technique guette. Matériel capricieux, timing fluctuant, mannequins ralentis par des chaussures… Caurel, Roni et Jansen connaissent tous ce stress latent. Et pourtant, ils doivent livrer un spectacle fluide, sans accroc. Et s’il faut réécrire la fin de la bande-son en dernière minute ? Ils le font. « Je n’ai parfois même pas le temps de jouer la dernière partie car le show est trop court », confie Jansen. Flexibilité absolue, mais jamais au détriment de la qualité.

De la mode au club, du théâtre au cinéma

Aucun ne s’est formé pour ce métier. Roni, DJ et fondatrice du label Nehza Records, est une enfant du clubbing. Caurel, lui, est diplômé en mode et a navigué entre défilés, festivals et sets nocturnes. Jansen, de son côté, vient du théâtre et du cinéma. La mode ? Il y est arrivé par accident, via Haider Ackermann. « J’aime la mode comme art, pas comme produit à consommer. » Tous revendiquent une approche artistique totale, loin du marketing sonore. Ce qui les anime, c’est l’histoire qu’ils racontent, la vibration qu’ils déclenchent.

Créer une narration sonore, invisible mais essentielle

Un show réussi n’est pas qu’une démonstration de style. C’est une performance où la musique fait corps avec les vêtements. Une montée, un break, un silence : tout cela guide le regard du spectateur, suspend le temps, ouvre un espace émotionnel. « Une musique peut faire pleurer ou faire rire », dit Caurel. A condition qu’elle soit parfaitement raccordée au défilé.

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