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Voiture thermique : bientôt un luxe réservé aux riches ?

D’un côté, une volonté politique claire : décarboner l’Europe en interdisant la vente de véhicules thermiques neufs à l’horizon 2035. De l’autre, une brèche discrète dans la législation : les constructeurs les plus exclusifs, ceux qui produisent moins de 1 000 véhicules par an, pourront continuer à vendre des modèles essence ou diesel au-delà de cette date. Une ligne de faille qui dit tout de la complexité à conjuguer transition écologique et justice sociale, notamment pour le Service Carte Grise.

Une interdiction générale, sauf pour les plus exclusives

À première vue, l’enjeu est consensuel. Avec près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe, les transports – et en particulier la voiture individuelle – sont dans le viseur. La fin programmée des moteurs thermiques s’inscrit dans une stratégie plus large : atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. En interdisant leur vente dès 2035, l’Union européenne espère assainir progressivement un parc automobile dont la durée de vie moyenne dépasse rarement 15 ans. Objectif : plus une seule voiture essence ou diesel sur les routes européennes à la moitié du siècle.

Mais dans les détails du règlement européen 2023/851 se glisse une exception. Les constructeurs produisant moins de 1 000 véhicules par an – des marques de niche comme Bugatti ou Morgan – continueront, eux, à écouler leurs voitures thermiques en toute légalité. Et si une révision du texte en 2026 élargissait encore cette exemption jusqu’à 10 000 véhicules, comme l’envisagent certains amendements, d’autres emblèmes du luxe automobile pourraient les rejoindre : Aston Martin, McLaren, Rolls-Royce

Une voiture thermique pour les plus riches

L’impact environnemental de cette tolérance reste marginal. Mais le symbole, lui, est ravageur. Car pendant que les ménages modestes sont priés de remplacer à grands frais leur vieille Clio diesel, des fortunes pourront continuer à s’offrir, sans restriction, des véhicules essence rutilants à plusieurs centaines de milliers d’euros. Conduire un V8 pourrait devenir un privilège de classe, une démonstration de statut social, comme l’est déjà le yacht ou le jet privé.

Ce double standard fait ressurgir le spectre d’une « écologie punitive » : celle qui interdit aux classes moyennes ce qu’elle tolère aux ultra-riches. Dans un pays comme la France, où les ZFE (zones à faibles émissions) commencent déjà à restreindre l’usage des véhicules anciens, ce sentiment d’injustice est palpable. L’automobile reste un vecteur puissant de mobilité, de liberté et d’insertion professionnelle, en particulier en zone périurbaine et rurale. Or, c’est précisément là que les infrastructures de transport public font défaut.

Acheter un véhicule : une décision de plus en plus politique

Dans ce contexte, acheter un véhicule aujourd’hui ne relève plus uniquement d’un choix économique ou pratique : c’est aussi un acte politique. Le marché du neuf reste difficile d’accès, les prix des modèles électriques restent élevés malgré les aides, et l’occasion thermique pourrait bientôt se raréfier. Faut-il se hâter d’acheter un dernier modèle essence avant 2035 ? Miser sur une électrique malgré le manque de bornes de recharge ? Louer plutôt qu’acheter ?

À chaque option, ses contraintes – et ses inégalités. L’électrique séduit en ville, mais peine à convaincre les foyers ruraux. Les aides à l’achat sont précieuses, mais parfois insuffisantes ou inaccessibles. Le leasing social annoncé fin 2023 a suscité un engouement immédiat, révélant à quel point le besoin d’options abordables est urgent.

L’impératif d’une transition juste

Derrière le cap annoncé par Bruxelles, la réussite de la transition énergétique se jouera sur le terrain social. Une société ne peut pas se transformer durablement sans que ses citoyens adhèrent aux règles du jeu. Cela suppose des mécanismes de compensation crédibles, une vraie pédagogie de la mobilité, et une montée en puissance rapide des solutions alternatives (voitures électriques d’entrée de gamme, transports en commun, autopartage…).

Faute de quoi, le risque est grand de voir une fracture écologique se superposer à la fracture sociale. D’un côté, les « nouveaux convertis » du 100 % électrique. De l’autre, ceux qui, faute de moyens, se sentiront exclus d’une transition qu’ils vivent déjà comme une injonction. À l’heure des choix – individuels et collectifs –, l’automobile cristallise les tensions de notre époque. Le futur de la voiture ne sera pas seulement électrique. Il devra aussi être équitable.

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