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Femme qui encadre son equipe

Fonction publique : le désamour pour l’encadrement s’installe durablement

Longtemps considéré comme le sommet d’une carrière dans la fonction publique, le management est aujourd’hui un poste que l’on fuit plus qu’on ne convoite. Le constat est sans appel : de plus en plus d’agents renoncent à exercer des fonctions managériales, non par manque d’ambition, mais parce qu’ils en mesurent trop bien le prix. A la promesse d’une reconnaissance statutaire et symbolique succède la réalité d’un poste souvent sous pression, sans moyens à la hauteur des responsabilités, et livré à des tensions multiples, administratives, humaines, politiques.

L’image du cadre supérieur public, pilier de l’organisation et figure d’autorité, vacille. Les candidats se font plus rares, les vocations s’amenuisent, et les directions des ressources humaines s’inquiètent. Car cette tendance n’est pas marginale, elle révèle une mutation profonde de la culture professionnelle au sein des administrations, que ni les primes, ni les titres, ni même les fastes d’un bureau individuel ne suffisent plus à compenser. Le point sur le sujet avec Kevin Gomez, avocat !

Encadrer, c’est souvent sacrifier

La désaffection pour l’encadrement ne vient pas de nulle part, elle est le fruit d’un écart croissant entre le mythe du manager public et la réalité du terrain. Surcharge de travail, injonctions paradoxales, pressions budgétaires, absence de soutien RH concret… le manager public se retrouve fréquemment seul face à des injonctions incompatibles avec le bon fonctionnement d’une équipe. Sans compter la stagnation salariale qui rend la prise de responsabilités peu attrayante, voire dissuasive, surtout dans une époque où la quête d’équilibre entre vie personnelle et professionnelle devient non négociable.

Dès lors, pourquoi accepter une fonction qui épuise, qui isole et qui, souvent, n’offre que peu de reconnaissance en retour ? La question est posée, et beaucoup y répondent désormais par le refus.

Le prestige de l’expertise, la tranquillité du projet

A mesure que l’encadrement perd en attrait, d’autres formes de parcours gagnent en légitimité. De plus en plus de cadres préfèrent les fonctions expertes ou les missions transversales. Travailler sur des dossiers à haute valeur ajoutée, piloter un projet stratégique, produire une expertise utile à la décision publique… autant de manières d’exercer une influence réelle sans se heurter à la complexité du management direct. Cette évolution dessine une nouvelle figure de la réussite professionnelle, celle qui privilégie la profondeur à l’autorité, la pertinence à la hiérarchie. En clair, on ne veut plus forcément être le chef, mais on veut être écouté. Et utile !

Le leadership, sans l’autorité : une révolution silencieuse

Ce glissement culturel s’inscrit dans une tendance plus large, celle de la remise en cause du modèle hiérarchique vertical au profit de formes de leadership fondées sur la coopération, la confiance et la capacité à fédérer. Ce qu’on appelle parfois « unbossing » trouve un écho chez les jeunes cadres publics, peu sensibles aux symboles de pouvoir et beaucoup plus attentifs au sens de l’action. Le manager de demain ne sera plus nécessairement celui qui donne les ordres, mais celui qui anime, qui facilite, qui soutient les dynamiques collectives. Une posture qui exige des compétences spécifiques, mais aussi un changement de regard institutionnel sur ce que signifie « manager ».

Une fonction publique à deux vitesses ?

Reste un enjeu majeur : éviter la fracture interne entre ceux qui endossent la charge managériale – et s’y épuisent – et ceux qui construisent des carrières stimulantes hors de l’encadrement, sans subir la même pression. Si la désacralisation du management peut ouvrir la voie à des parcours plus variés et à une administration plus agile, elle doit être accompagnée d’une revalorisation de l’encadrement. Cela passe par des formations solides, un véritable accompagnement RH, des espaces de respiration, et une reconnaissance non seulement statutaire, mais humaine et symbolique. Car le danger, à terme, serait de laisser s’installer une dissuasion structurelle, où l’encadrement deviendrait une impasse plutôt qu’un choix.

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