Dans un monde où le changement opère à vitesse grand V, l’entreprise n’a plus le luxe de l’immobilisme. L’hypertransformation s’impose, brutale, profonde, permanente. Une mue accélérée par les technologies, mais qui ne s’arrête pas au digital : elle bouscule les modèles économiques, redéfinit les relations humaines, fracture les routines, pulvérise les silos. Face à ce bouleversement, un acteur clé émerge, souvent oublié, et rarement préparé : le manager. Le point sur le sujet avec Joris Dutel !
L’urgence d’un rôle repensé
Le constat est aussi limpide qu’inquiétant. Alors que 70 % des dirigeants placent la transformation interne au sommet de leurs priorités, 85 % des managers n’ont reçu aucune formation pour l’orchestrer. Le décalage est saisissant. Et il n’est pas simplement technique ou conjoncturel : il est systémique. Car la transformation n’est plus un projet temporaire, elle devient une compétence continue, une dynamique inscrite au cœur même du fonctionnement de l’entreprise.
Le manager n’est plus un simple relais d’information ou un chef d’orchestre procédural, il doit devenir l’éclaireur du changement, celui qui interroge, qui donne du sens, qui inspire. Celui qui refuse de cautionner les injonctions descendantes sans les comprendre ni les traduire. Et c’est là que tout se joue.
D’exécutant à éclaireur, un saut de posture
Fini le temps où le manager se contentait de déployer des décisions venues d’en haut. Aujourd’hui, il doit les comprendre, les challenger, les reformuler avec intelligence pour les rendre intelligibles. Julien Martinez, chez Veolia North America, le dit sans détour : aucune transformation n’est parfaitement claire, et c’est précisément ce flou qui appelle un management lucide et proactif. Laurent Magne, de BPCE Infogérance, enfonce le clou : il faut éviter de foncer sur le « comment » sans avoir d’abord solidement ancré le « pourquoi ». Le manager doit poser les bonnes questions, oser le doute constructif, recadrer la finalité avant d’embrayer sur les moyens. En s’appropriant le fond, il devient le garant du sens. C’est cette appropriation qui déclenche l’adhésion des équipes.
L’exemple d’Airbnb, qui a remodelé son leadership post-pandémie autour d’un pilotage inclusif, est révélateur : plus qu’une transformation organisationnelle, c’est un repositionnement managérial en profondeur. La parole du manager y devient un levier d’innovation. Résultat ? Là où la transformation réussit, 73 % des salariés se sentent impliqués. Là où elle échoue, ils ne sont que 46 %.
Des leviers concrets pour muscler ce nouveau rôle
Encore faut-il que les entreprises donnent à leurs managers les moyens d’assumer ce nouveau rôle. Cela commence par les armer à coup de méthodologie, d’outils, de culture du changement, de savoir-faire de conduite. Car on ne devient pas éclaireur par décret, mais par formation, accompagnement et expérience. Ensuite, il faut transformer en profondeur les réflexes culturels et certaines organisations l’ont bien compris. Une entité d’un leader de l’énergie a ainsi bâti un socle de transformation autour de comportements clés co-construits entre top management et managers. Résultat : un alignement stratégique incarné, et non affiché.
Autre levier : la reconnaissance des talents cachés. Le manager visionnaire n’enferme pas ses équipes dans leurs fiches de poste, il identifie leurs aspirations, leurs potentiels dormants, et leur offre des terrains d’expérimentation – projets transverses, communautés internes, développement de nouvelles compétences. Une dynamique à l’image de Disneyland Paris, où l’évolution des collaborateurs devient une brique de la transformation globale.
Accepter l’erreur comme moteur d’apprentissage
Mais rien de tout cela ne tient sans une vraie culture de la confiance. Le droit à l’erreur n’est pas une indulgence, c’est un impératif. Oser, tester, se tromper vite pour apprendre mieux : cette logique d’« échec rapide » irrigue des entreprises comme Blablacar, qui valorisent autant les essais que les réussites. Car c’est dans les faux pas que naissent souvent les meilleures idées.