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Décharge remplie de déchets plastiques et pneus devant une forêt verte

Recyclage chimique : innovation salvatrice ou illusion toxique ?

Présenté comme une avancée technologique décisive, le recyclage chimique ambitionne de résoudre ce que la mécanique peine à faire : recycler des plastiques complexes, en particulier ceux qui finissent incinérés ou enfouis faute de filière adaptée. Le procédé repose sur la décomposition moléculaire des déchets par des solvants ou par pyrolyse, une technique de chauffage à haute température. L’objectif : retrouver les composants de base du plastique gaz, huiles, monomères — et les réinjecter dans la fabrication de nouveaux produits, y compris alimentaires.

Sur le papier, la promesse est séduisante. Les industriels parlent de « solution ultime » à la pollution plastique. Des géants comme Ineos, Loop Industries ou Eastman multiplient les annonces, tandis que les subventions affluent. À tel point que la France ambitionne de devenir l’un des leaders européens de la filière, avec des projets estampillés d’« intérêt national majeur ». Le point sur le sujet avec Chimirec !

Une maturité technique encore incertaine

Derrière l’emballage marketing, les limites techniques et économiques du recyclage chimique sont bien réelles. Selon la plateforme Plastic Solution Review, la filière est encore « technologiquement immature » et peine à prouver sa viabilité financière. En cause, des coûts de production deux à trois fois supérieurs à ceux du plastique vierge. De nombreuses usines annoncées — à Wingles, Saint-Avold ou Clermont-Ferrand — sont aujourd’hui à l’arrêt ou considérablement retardées.

Les experts dénoncent également un flou réglementaire sur les débouchés des matières recyclées. Un facteur de blocage d’autant plus gênant que la viabilité économique de ces unités dépend largement du soutien public. En février 2025, la Commission européenne a autorisé la France à injecter 500 millions d’euros de subventions pour soutenir le développement de cette industrie encore embryonnaire.

Un rendement faible face à l’ampleur du problème

La promesse d’un recyclage sans fin ne résiste pas à l’épreuve des chiffres. D’après Polyvia, la capacité mondiale de traitement du recyclage chimique atteindrait 3,5 millions de tonnes en 2028, soit à peine 1 % des 353 millions de tonnes de déchets plastiques générées en 2019, selon l’OCDE. Une goutte d’huile dans un océan de plastique, alors que ce volume pourrait tripler d’ici 2060.

Les ingénieurs Lise Nicolas et Enzo Muttini pointent une fuite en avant : « On tente de rattraper la surproduction avec du recyclage, sans remettre en cause notre modèle de consommation. » Un diagnostic partagé par de nombreux spécialistes, qui appellent à investir autant dans le réemploi et la réduction à la source que dans les technologies de transformation.

Des impacts environnementaux préoccupants

La technique dominante en Europe, la pyrolyse, est non seulement très énergivore, mais elle peut aussi engendrer des émissions significatives de gaz à effet de serre. Selon l’ONG Zero Waste Europe, elle génère jusqu’à neuf fois plus de CO₂ par kilo de plastique recyclé que le recyclage mécanique. Pire : certaines méthodes nécessitent un passage par le vapocraquage, l’une des étapes les plus polluantes de la chaîne de production pétrochimique.

Des craintes existent aussi sur les rejets toxiques : dioxines bromées, furanes, composés organiques volatils… En 2021, l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) alertait sur l’absence de données claires sur le devenir des substances préoccupantes générées par ces procédés.

Un levier de greenwashing pour les industriels ?

Pour ses détracteurs, le recyclage chimique sert surtout d’alibi écologique à une industrie qui cherche à verdir son image sans changer ses pratiques. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques alertait dès 2023 sur le risque d’alimenter une illusion de circularité. L’affaire ExxonMobil, poursuivie en Californie pour avoir « trompé » le public sur la recyclabilité de ses emballages plastiques, illustre cette instrumentalisation de la promesse technologique.

En France, le recyclage chimique a aussi servi d’argument pour retarder l’interdiction des emballages en polystyrène prévue par la loi Climat. Les projets censés justifier cette exception n’ont jamais vu le jour, laissant les plastiques non recyclables continuer à envahir les rayons.

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