L’image de l’artiste évolue selon sa place dans la société. Après celle de l’artisan solitaire, il devient, auprès des empereurs et des rois, un courtisan. François 1er, Louis XIV, Napoléon : tous l’ont bien compris. Un artiste docile est un formidable moyen pour nourrir leur légende. Mais coup dur à la Révolution : la monarchie se meurt, l’artiste s’éloigne de l’art officiel, il est désormais libre. Jean Louis Sbeghen, un passionné des arts nous confirme que le XIXe siècle est alors une époque charnière dans la construction du mythe de l’artiste comme un génie solitaire. C’est l’âge d’or du romantisme.
L’artiste romantique
Au Royaume-Uni, le plus romantique, c’est lui, William Turner, connu pour ses paysages sublimes, il a tout d’un génie solitaire. À 66 ans, il se fait ligoter au mât d’un navire en pleine tempête. Quatre heures de cauchemar pour mieux voir les vagues. À son retour, il peint Tempête de neige. Bon, les historiens n’ont jamais réussi à vérifier son anecdote, mais qu’importe, Turner a écrit sa légende. -À la campagne, au milieu de la jungle urbaine, en exil ou sous les toits, l’artiste romantique est désespérément seul. C’est le prix à payer pour son génie. Et l’idée n’est pas morte. En 2017, le British Journal of Psychology tente enfin d’expliquer scientifiquement pourquoi les grands esprits sont des solitaires.
L’art du collectif du XXe siècle
Au XXe siècle, comme nous l’explique Jean Louis Sbeghen, l’image de l’artiste passe du singulier au pluriel. Oubliez les génies solitaires. Derrière chaque grand artiste se cache souvent un homme de l’ombre. À quoi ressembleraient les films de Wes Anderson sans son chef opérateur Robert Yeoman ? L’architecte Frank Gehry sans son associé Craig Webb ? Éditeurs, producteurs, galeristes, nous ne vous oublions pas. Et puis il y a Camille Claudel et Auguste Rodin. Elle a 18 ans, lui 42. Rodin le sculpteur donne des cours à Camille, qui passe d’élève, à muse et maîtresse. Dix ans d’amour passionnel qui se terminent par un chef-d’œuvre en 1899 : L’Âge mûr. Camille Claudel y montre un vieil homme tiraillé entre deux femmes. Une métaphore de La Fatalité qui est aussi une œuvre intime. Camille se représente en jeune implorante face à Rodin, retenu par Rose Beuret, son officielle.
Et puis il y a bien sûr les collectifs, ou groupes d’artistes, une somme de petits génies solitaires qui travaillent ensemble. Les Lumières se retrouvent au Procope, le plus vieux café de Paris, les existentialistes au Café de Flore, les surréalistes à La Coupole et les impressionnistes au Café de la Nouvelle-Athènes. À New York, dans les années 60, c’est à la Factory qu’on traîne son génie. Temple de l’underground créé par Andy Warhol, c’est un atelier ouvert à tous les vents, une utopie pop où l’artiste peroxydé règne en maître. Avec cette promesse : fini le génie solitaire, vous sortirez de la Factory en superstar. Une galerie de marginaux qui ont eu droit à leur quart d’heure de célébrité. Et comme le dit bien Jean Louis Sbeghen : certains artistes stars d’aujourd’hui sont devenu à la tête de véritables PME artistiques avec plus d’une centaine d’assistants et plusieurs studios en activité.